Carmen Canton (Moreno) née le 23 octobre 1929 décédée le 18 Mars 2022 Maman est née en 1928 à Valderrobres, gros village du sud de l’Aragon, dans la province de Teruel. Dure vie de petits paysans, terres arides, oliviers accrochés aux flancs des « barrancs », récolte d’olives apportée au propriétaire de l’unique moulin à qui il fallait ensuite acheter l’huile produite avec ses propres olives. Cette « anecdote » revenait souvent dans son récit et était significative de la révolte de ces paysans. La vie y était dure , avec son lot de mortalité infantile, d’entorses pas soignées qui provoquait des claudications à vie comme pour sa mère.
En 1937, un groupe du village décide de partir. 170 km à pied jusqu’à Reus, sous le mitraillage des avions italiens, l’insouciance de la jeunesse, qui sautait dans les fossés comme si c’était un jeu et la faim, toujours présente, qui tenaillait les estomacs. Tout était bon, y compris les poissons rouges trouvés dans des bassins. Maman racontait souvent que le meilleur souvenir de cet exode était la nuit que toute la famille ( ses parents, sa sœur et sa yaya Carmela) avait passée dans une cour à cochon où blottis les uns contre les autres ils avaient dormi et cette nuit avait été la plus douce de sa jeune existence, probablement parce qu’elle ne s’est jamais reproduite. Les rumeurs, fondées, faisaient état de séparation des parents et des enfants, une fois arrivés en France. Sa mère demande alors à 2 de ses sœurs de Barcelone de venir chercher les enfants. Carmen et sa sœur Pilar seront séparées. Elle a 9 ans quand elle arrive chez sa tante Maria à Esplugas de Llobregat, près de Barcelone. Dans l’épicerie familiale, la petite fille sera domestique. Plus d’école, on a besoin de bras et puis on nourrit bien une fille de rouges, ça suffit comme ça. La vie est dure. La guerre lui a volé ses parents, la guerre lui a volé son enfance. Levée à 5 heures, elle part jusqu’au marché de la Boqueria noter le cours des fruits et légumes. On lui apprend le beau métier de brodeuse qu’elle détestera car il sera encore source d’exploitation supplémentaire. Les nouvelles de France sont rares. Elles arrivent par un réseau qui passe par l’Andorre. Un petit frère est né en 1940. Elle ne le connaîtra qu’à l’âge de 6 ans. En 1946 ses parents demandent à voir leurs filles. Carmen acceptera de venir. Le voyage est rocambolesque. Les frontières entre la France et l’Espagne sont fermées. Le train jusqu’à La Tour de Carol. Elle arrive en Andorre. En poche une seule adresse, un hôtel et pas un mot de français. C’est avec des gendarmes qu’elle passera la frontière et qu’elle arrivera à la préfecture de la Haute-Garonne . Elle y sera accueillie par la fille du préfet Baylot y passera une nuit et partira ensuite pour Pau. Sa mère , avait laissé une petite fille de 9 ans, elle retrouve une jeune fille de 18 ans. Ce n’est pas simple. Les retrouvailles, qu’elle a idéalisées , ne se passeront pas comme elle avait prévu. Elle en gardera une blessure pendant de longues années. Le miracle se produit sur les côteaux de Jurançon où ses parents sont ouvriers agricoles et travaillent la propriété d’un sénateur. Le lendemain de son arrivée, elle rencontre le facteur. Le coup de foudre est réciproque. Et la vie change. Elle apprend le français, elle avait un bon professeur et la motivation. Avec leur mariage elle obtient la nationalité française. Et là, elle est convoquée au consulat d’Espagne, à Pau. Le consul la réprimande sévèrement, lui rappelle « l’ignominie » de sa décisionet lui demande de renoncer, par écrit à la nationalité espagnole. Autre blessure, jamais refermée. Après leur mariage, c’est toute une vie de combats communs. J’ai longtemps entendu parler de la longue grève des facteurs en 1954, un mois. La guerre d’Algérie aussi qui chez nous prenait une allure particulière du fait de la présence sous les drapeaux d’Antoine son jeune frère , mais aussi du fait du militantisme de papa qui était surveillé par la police, beaucoup d’inquiétude et d’angoisses. Et les nombreuses manifestations pour la paix au Viet-Nam, la préparation de brassières tricotées pour « le bateau pour le Vietnam ». C’est avec la solidarité avec les sinistrés du tremblement de terre d’Arette qu’elle découvre l’UFF. . Elle sera de tous les combats : contraception, IVG en particulier pour la création d’un centre d’orthogénie à Pau, la célébration du 8 mars. Elle en sera la secrétaire départementale et membre du Conseil National. Elle y a milité aux côtés de Charlotte Campse disparue il y a quelques semaines. Elle a aussi été, avec toute l’équipe, à l’origine de l’exposition « Femmes Créatrices », toujours avec le souci de donner aux femmes la possibilité de s’exprimer et d’exposer ce qu’elles créaient . C’est aussi à cette époque qu’elle adhère au Parti Communiste. Notre jeunesse a été marquée par les campagnes électorales et les soirées de pliage de tracts à la maison. Elle sera d’ailleurs élue communiste à Billère de 2001 à 2008 . Elle restera fidèle à son parti jusqu’au bout. Pendant son séjour en EHPAD, je lui lisais tous les jours un ou plusieurs articles de l’huma. Et cela jusqu’à 2 jours avant sa mort. Elle a été particulièrement attentive à l’article paru il y a peu dans l’Humanité Dimanche sur Marie-Claude Vaillant-Couturier qu’elle a connue à l’UFF.. Il y a autre chose dont je tiens à parler. Beaucoup ici ont en mémoire toute l’émotion suscitée il y a 10 ans par la menace d’expulsion de deux étudiantes comoriennes, Sitti et Liouize. Pour empêcher leur expulsion, elles ont été cachées dans un lieu tenu secret pendant près de 3 semaines. C’est chez Carmen qu’elles étaient cachées. Voici ce qu’en dit Liouize dans un message qu’elle nous a adressé. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris le décès de mamie Carmen. Elle est rentrée dans ma vie à un moment difficile, mais sa rencontre a fait la différence. Elle nous a beaucoup donné car mamie elle nous a ouvert ses portes et pas que. Loin de nos familles, nous avons reçu de sa part l'amour d'une mamie qui était toujours au petit soin avec nous. Je me rappelle qu'elle n'a jamais accepté qu'on l'aide, même pas pour faire la cuisine, nous avions pour ordre de déguster ses bons petits plats c'est tout. Et c'est bien chez elle que j'ai découvert et dégusté la meilleure tortilla de ma vie. Je garde en mémoire sa douceur et son humilité, d'un grand cœur elle était. Je lui dois en partie ma vie aujourd'hui, car elle a été une des pièces du puzzle qui ont fait ce je suis devenu aujourd'hui. Mon seul regret est de ne pas avoir eu l'occasion de lui présenter ma petite famille pour qu'elle puisse voir le résultat de la chance qu'elle m'a donné en nous ouvrant les portes de sa maison. Cette solidarité a toujours été très présente chez mes parents chez qui il y avait toujours une assiette à rajouter et une louche de soupe à servir. Mes amies de l’école normale s’en souviennent encore, elles qui ne rentraient chez elles que tous les 15 jours. Les autres dimanches se passaient souvent à la maison. Leur maison, ils l’aimaient pleine de monde, et par-dessus tout, ils aimaient rassembler la famille. Dès la naissance de ses arrières petites filles, maman a organisé un repas de famille tous les ans avec ses enfants, ses 4 petits enfants, repas qui s’est agrandi, au fil des années avec l’arrivée des conjoints, ses autres « petits enfants » comme elle aimait à le dire et puis ses arrières petits enfants dont elle parlait avec fierté et qui sont au nombre de 7 maintenant. Nous aimions tous cette journée où nous retrouvions les enfants et pendant laquelle les cousins aimaient jouer ensemble. Cet accueil et cette convivialité Salim Lamrani y avait goûté lors de sa venue pour Culturamerica en 2017 Dans un message voici ce qu’il nous dit : Je garde un souvenir impérissable de ma rencontre avec Carmen en 2017, de sa gentillesse, de sa simplicité et de sa générosité. Elle m'avait reçu à bras ouverts autour d'une paella, avec l'hospitalité et la familiarité qui caractérisent les gens qui ont bon cœur et qui aiment les autres. Elle avait partagé avec nous certains de ses souvenirs d'enfance, parfois douloureux, mais avec la conviction inébranlable qu'il fallait coûte que coûte combattre les injustices et ne pas se résigner face à l'adversité. Elle avait choisi de défendre le droit des humbles et des écrasés à jouir d'une existence digne et refusait obstinément de sombrer dans l'indifférence qui caractérise si souvent notre époque. Après le décès de papa, elle a tenu la promesse qu’ils s’étaient fait de continuer la lutte. Et c’est à la CGT qu’elle a milité alors. Comme on l’a vu sur les photos, elle était de toutes les manifs pour la défense des retraites et du pouvoir d’achat. Et quand elle n’a plus pu faire le trajet,elle venait dire au revoir aux camarades au départ de la manif. Elle avait à coeur aussi de continuer l’organisation des vacances dans les meilleures conditions possibles pour qu’elles puissent être accessibles au plus grand nombre. Ces dernières années, elle a consacré son énergie à témoigner sur la guerre d’Espagne dans les écoles, les collèges, les lycées, en particulier à Arette dans le collège de deux de ses arrières petites filles. Son message était qu’il fallait tout faire pour éviter la guerre. Dans sa dernière intervention, il y a 3 ans, à Pessac, elle disait sa douleur en voyant les longues files de réfugiés qui quittent leur pays, ces femmes et ces enfants qui risquent tout pour fuir la guerre. Nous allons entendre « Ma France » de Jean Ferrat. C’est elle qui l’a choisi , nous avons retrouvé le CD qu’elle avait préparé. Sa France, c’est celle qui l’a ouverte au monde, celle qui l’a fait renaître, celle qui lui a fait découvrir la lecture , le cinéma, les expositions, les peintres , la montagne et surtout le chant et la musique, ensemble, dans le même choeur, nous avons chanté le Requiem de Mozart. Elle ne ratait jamaisle concert du Nouvel an. Lui trouver un cadeau n’était pas bien compliqué: des places pour des concerts, des ballets :le lac des cygnes, Pétrouchka , le boléro de Ravel.Belle revanche pour celle qui n’est allée à l’école que jusqu’à 9 ans. Elle disait : l’Espagne de Franco m’a étouffée, la France m’a fait naître. L’annonce de son décès a suscité partout la même réaction : surprise, « on ne s’y attendait pas » est une phrase qui revient souvent. Normal, il y a exactement 15 jours, elle avait tenu a être présente pour les obsèques de Jeannot Baldonado complice militant de toujours de papa. Preuve que maman est morte comme elle a vécu : DEBOUT., DE PIE, AIXECAT. Anne Marie Larrodé, Jean Bernard Canton. Ma France de Jean Ferrat Chanson de LLUIS LLACH joué en fin de cérémonie |